La séquestration du carbone dans les sols français
L'initiative «4 pour 1000», lancée par la France lors de la COP-21 de 2015, vise à augmenter le stock de carbone dans les sols mondiaux de 0,4 % par an. Cette augmentation permettrait de compenser les émissions annuelles de CO2 dues aux activités humaines. Cet article est issu d'une étude menée par l'INRAE en 2020 intitulée « Stocker du carbone dans les sols français : Quel potentiel au regard de l'objectif 4 pour 1000 et à quel coût ? » disponible en plusieurs versions ici.
Définition
La séquestration du carbone fait référence à l'augmentation du stock de carbone dans le sol au fil du temps. Ce processus est principalement influencé par deux facteurs clés :
- La quantité de carbone entrant dans le sol, provenant des résidus végétaux, des racines des plantes et des apports de matière organique.
- Le temps moyen de résidence de ce carbone avant sa minéralisation, c'est-à-dire sa décomposition par les micro-organismes du sol et son retour dans l'atmosphère sous forme de CO2.
Un changement dans les apports ou les sorties de carbone, s'il est maintenu sur le long terme, conduira à une évolution du stock de carbone jusqu'à ce qu'un nouvel équilibre soit atteint.
Pourquoi séquestrer du carbone ?
La séquestration du carbone est un processus essentiel pour lutter contre le changement climatique et améliorer la santé des sols.
Réduction du CO2 atmosphérique
Le dioxyde de carbone (CO2) est le principal gaz à effet de serre responsable du réchauffement climatique. La séquestration du carbone permet de piéger le CO2 atmosphérique dans les sols, réduisant ainsi sa concentration dans l'atmosphère. L'objectif de 4 pour 1000, bien qu'ambitieux, permettrait de compenser les émissions annuelles de CO2 dues aux activités humaines.
Amélioration de la santé des sols
Le carbone est un élément essentiel à la fertilité des sols. En augmentant la teneur en carbone organique des sols, on améliore leur structure, leur capacité de rétention d'eau et de nutriments, ainsi que leur activité biologique. Des sols riches en carbone sont plus résistants aux stress hydriques, contribuent à une meilleure filtration de l'eau, et à la régulation des cycles biogéochimiques.
Facteurs influençant le stockage du carbone
La quantité de carbone stockée dans les sols dépend de plusieurs facteurs :
- Le mode d’occupation des sols :
- les sols forestiers : 38 % du stock total
- les prairies permanentes : 22 %
- les grandes cultures et les prairies temporaires (26,5 %) due en partie à leur grande surface.
- Le type de sol et le climat : les sols des zones montagneuses et des prairies ont des stocks de carbone plus élevés en raison du climat et du type de sol.
- Les pratiques agricoles : certaines pratiques, comme l'extension des cultures intermédiaires et l'agroforesterie, peuvent augmenter le stockage du carbone.
Sans changement d’usage des sols, et sans modifier les pratiques agricoles et forestières, l’évolution des stocks de carbone des sols est actuellement estimée, tous modes d’occupation du sol confondus, à 2,3 ‰ par an avec une forte incertitude (-0,2 ‰ à +3,2 ‰ par an). Cette augmentation est cependant en partie contrecarrée par des changements d’usage des sols qui déstockent le carbone : artificialisation des sols et retournement des prairies.
Stockage et Stockage Additionnel
Il est important de distinguer deux notions :
- Le stockage de carbone : il s'agit de l'augmentation du stock de carbone dans le sol en général, quel que soit le mode d'occupation du sol ou les pratiques agricoles utilisées.
- Le stockage additionnel : cette notion se réfère à l'augmentation du stock de carbone liée à un changement de pratique agricole ou forestière. Il est calculé en comparant le stock de carbone sous une pratique donnée (par exemple, l'agroforesterie) avec le stock de carbone sous une pratique de référence (par exemple, la culture conventionnelle).
L'étude de l'INRA s'est concentrée sur le stockage additionnel de carbone permis par l'adoption de pratiques agricoles et forestières plus durables.
Les pratiques agricoles favorisant le stockage du carbone
L'extension des cultures intermédiaires
La mise en place de cultures intermédiaires, sans exportation de la biomasse produite, a un effet positif sur le stockage du carbone. Presque toute la surface en grandes cultures est concernée par ce scénario. Cela implique l'implantation de cultures intermédiaires là où elles n'existent pas actuellement, l'augmentation de leur fréquence dans la rotation, ou encore l'allongement des cultures intermédiaires déjà en place.
36% du potentiel total de stockage additionnel, soit +126 kgC/ha/an dans les 30 premiers cm du sol.
L’agroforesterie intraparcellaire
La plantation d'alignements d'arbres sur des parcelles de grandes cultures peut contribuer à la séquestration du carbone à la fois dans le sol et dans la biomasse des arbres.
20% du potentiel total de stockage additionnel, soit +207 kgC/ha/an dans les 30 premiers cm du sol.
L'accroissement de la part des prairies temporaires
L'augmentation de la part des prairies temporaires dans les successions culturales, par allongement de leur durée ou par introduction en remplacement de la culture de maïs fourrage, peut également favoriser la séquestration du carbone.
13% du potentiel total de stockage additionnel, soit +127 kgC/ha/an
L'enherbement des inter-rangs en vignoble
Potentiel de stockage additionnel unitaire significatif, mais faible à l'échelle national.
+182 kgC/ha/an
Les prairies permanentes
- L'intensification modérée des prairies extensives, par l'apport de fertilisants, peut entraîner une production additionnelle de biomasse qui augmente le retour au sol de résidus végétaux et donc la séquestration du carbone. +176 kgC/ha/an
- Le remplacement de la fauche par le pâturage : Le pâturage peut augmenter le retour au sol de résidus végétaux par rapport à la fauche, ce qui favorise la séquestration du carbone. +265 kgC/ha/an
La plantation de haie
La plantation de haies autour de parcelles ou d'îlots de parcelles d'au moins 8 ha peut également contribuer à la séquestration du carbone.
+17 kgC/ha/an
L'apport de nouvelles ressources organiques
L'apport de matières organiques exogènes, comme des composts de produits résiduaires organiques, peut également contribuer à la séquestration du carbone dans les sols. Cependant, il est important de veiller à ce que l'utilisation de ces ressources soit conforme à la réglementation et ne pose pas de problèmes d'acceptabilité sociale.
+57 kgC/ha/an
Le semis direct
Le semis direct est une technique culturale qui permet de semer directement dans un sol non travaillé, sans labour. Cette pratique peut contribuer à la séquestration du carbone, notamment dans l'horizon superficiel du sol (0-30 cm), de +60 kgC/ha/an. Cependant, le semis direct n'a pas d'effet significatif sur le stockage du carbone lorsque l'on considère l'ensemble du profil du sol.
C’est en grandes cultures, où le stock actuel est le plus faible, que réside le plus fort potentiel de stockage additionnel, soit 86 % du total, grâce à 5 pratiques:
- Mise en place de couverts intercalaires et intermédiaires (35 % du potentiel total)
- Introduction et allongement des prairies temporaires dans les rotations culturales (13 % du potentiel total)
- Développement de l’agroforesterie (19 % du potentiel total)
- Apport de composts ou produits résiduaires organiques, pour un coût négatif (léger gain pour l’agriculteur)
- Plantation de haies
Le coût du stockage
Coût par Pratique
Pratique à coût négatif :
Enherbement des Vignobles : L'enherbement permanent ou hivernal des inter-rangs dans les vignobles est la seule pratique à coût négatif (-106 à -56 €/tC). Cela signifie que cette pratique génère des revenus supplémentaires pour les agriculteurs tout en stockant du carbone.
Pratiques à Coût Modéré < à 250 €/tC :
- Remplacement de la fauche par le pâturage (277 €/tC)
- Mobilisation de nouvelles ressources organiques (397 €/tC)
- Intensification modérée des prairies permanentes (157 €/tC)
- Extension des cultures intermédiaires (180 €/tC)
Pratiques à Coût Élevé > à 300 €/tC :
- Insertion et allongement des prairies temporaires (423 €/tC)
- Agroforesterie intra-parcellaire (302 €/tC)
- Plantation de haies (2 322 €/tC)
Conclusions
- Potentiel de stockage: L'étude démontre qu'il est possible d'augmenter significativement le stockage de carbone dans les sols français. La mise en œuvre de neuf pratiques agricoles et forestières identifiées dans l'étude pourrait permettre un stockage additionnel annuel de +1,8‰ sur l'ensemble des surfaces agricoles et forestières, soit 5,69 MtC/an, soit 41 % des émissions de carbone agricoles. Ce potentiel de stockage est principalement concentré dans les sols de grandes cultures, où le stockage additionnel pourrait dépasser l'objectif des 4 pour 1000.
- Incertitude sur la ligne de base : L'étude souligne également l'incertitude qui pèse sur l'évolution actuelle des stocks de carbone sous l'effet des pratiques actuelles (ligne de base). Les prochaines campagnes de prélèvements du Réseau de mesure de la qualité des sols devraient permettre de préciser ces estimations.
- Importance du maintien des pratiques: La pérennité du stockage de carbone dans les sols dépend du maintien des pratiques stockantes à long terme. Il est donc crucial de mettre en place des politiques publiques incitatives et de sensibiliser les agriculteurs à l'importance de ces pratiques.
- Coûts: La mise en œuvre des pratiques stockantes peut engendrer des coûts pour les agriculteurs. Cependant, l'étude montre que la majorité du potentiel de stockage additionnel peut être atteint à un coût inférieur à la valeur tutélaire du carbone en 2030.
- Nécessité d'une approche combinée: Pour maximiser le stockage de carbone dans les sols français, il est nécessaire d'adopter une approche combinée qui comprend:
- Le maintien des surfaces et des pratiques favorables sur les écosystèmes présentant un stockage tendanciel positif (forêts et prairies permanentes).
- La mise en œuvre de l'ensemble des pratiques stockantes sur la totalité de leur assiette technique en grandes cultures et prairies.
- L'arrêt des changements d'usage des sols qui réduisent les stocks, comme le retournement des prairies et l'artificialisation des terres agricoles.
- Co-bénéfices: L'étude souligne que plusieurs des pratiques proposées pour stocker du carbone dans les sols apportent d'autres bénéfices, comme l'amélioration de la qualité de l'eau, la protection de la biodiversité et la réduction du risque érosif.
- Nécessité de réduire les émissions: L'étude rappelle que le stockage du carbone dans les sols ne peut être qu'un complément aux efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La réduction des émissions reste l'objectif principal pour lutter contre le changement climatique.
En conclusion, l'étude de l'INRA met en avant le potentiel important de stockage du carbone dans les sols français, tout en soulignant les défis et les incertitudes qui subsistent. Elle plaide pour une approche globale et cohérente, combinant la mise en œuvre de pratiques agricoles plus durables, la protection des écosystèmes à fort potentiel de stockage, et la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Annexes