Évaluation des économies d’eau potentiellement réalisables par modernisation du système d’irrigation
Une étude, confiée à l’UMR G-EAU de l’INRAE de Montpellier, a permis la création en 2017 d’un outil d’aide à l’évaluation des économies d’eau potentiellement réalisables par le renouvellement du système d’irrigation, à l’échelle parcellaire, sans perte de rendement ou modification de la qualité de production et en tenant compte du contexte agro-pédo-climatique de l’installation.
Contexte
La rareté de l’eau, accentuée par l’impact du changement climatique, place les économies d’eau comme un des enjeux majeurs de la plupart des pays européens à l’heure actuelle. Pour répondre à cet enjeu et parce que les prélèvements d’eau pour l’agriculture en Europe représentent plus de 20% des prélèvements totaux (AQUASTAT, FAO), l’Union européenne a intégré en 2013 une nouvelle condition d’admissibilité aux Fonds Européen Agricole pour le Développement Rural (FEADER). Ainsi, selon l’article 46-4 du règlement européen n°1305/2013 relatif au soutien au développement rural par le FEADER :
"Un investissement dans l’amélioration d’une installation d’irrigation existante ou d’un élément d’une infrastructure d’irrigation n’est admissible que s’il ressort d’une évaluation au préalable et qu’il est susceptible de permettre des économies d’eau d’un minimum compris entre 5% et 25%, sans diminution du rendement des cultures, selon les paramètres techniques de l’installation".
Chaque pays membre de l’Union Européenne était libre d’utiliser la méthode qu’il souhaitait pour évaluer le potentiel d’économie d’eau d’un matériel donné. Or, en France, il n’existait pas à cette époque, de méthode standardisée d’évaluation au préalable des économies d’eau potentiellement réalisables tenant compte à la fois du type de sol, du climat, de la culture et de l’état du matériel en place sur la parcelle.
A partir de la collecte de toutes les études disponibles sur le thème des économies d’eau réalisées à la parcelle par un changement de matériel d’irrigation et menées sur le territoire métropolitain au cours des trente dernières années, les chercheurs de l’UMR G-EAU de l’INRAE Montpellier ont créé un référentiel des économies d’eau potentiellement réalisables par modernisation du système d’irrigation, destiné à la fois aux exploitants agricoles, aux conseillers en irrigation mais aussi aux organismes instruisant les dossiers de demande de subvention.
Problématique et objectifs
L’objectif de cette étude était de créer un outil d’aide à l’évaluation, avant l’investissement, des économies d’eau qui pourraient être potentiellement réalisables par le renouvellement du système d’irrigation par aspersion existant vers un système localisé, à l’échelle parcellaire et sans perte de rendement ou modification de la qualité de la production. Cet outil, créé en 2017, devait être simple d’utilisation, évolutif afin d’avoir la possibilité d’intégrer de nouveaux référentiels et surtout tenir compte du contexte agropédoclimatique de l’installation.
Solutions et résultats
Les pertes d’eau d’irrigation dépendent de plusieurs types de facteurs qui vont conditionner leur nature et leur ampleur : le climat, le sol, la culture, la technologie d’irrigation utilisée, les pratiques culturales. Dans un contexte d’économie d’eau à l’échelle de la parcelle ou de l’exploitation, l’efficience de l’irrigation est décrite selon la méthode classique qui considère que l’eau qui quitte la parcelle est perdue[1] et définie comme le rapport entre l’eau d’irrigation réellement transpirée et l’eau d’irrigation entrant dans la parcelle[2] . Le schéma en cascade suivant détaille le parcours de cette eau d’irrigation en 6 étapes, de son entrée dans la parcelle jusqu’aux racines, entre lesquelles des pertes d’eau d’irrigation peuvent se produire.
Plusieurs leviers sont possibles pour améliorer l’efficience globale de l’irrigation :
- La réduction des fuites à la fois dans les canalisations et les équipements à la parcelle.
- La limitation de l’évapotranspiration et de la dérive.
- La diminution du ruissellement et du drainage.
- La réduction, voire la suppression, de l’évaporation du sol.
La modernisation du système d’irrigation et notamment le passage d’une irrigation par aspersion à une irrigation localisée (goutte-à-goutte) active plusieurs de ces leviers.
En effet, l’efficience de l’irrigation atteint 50 à 65% dans le cas de l’aspersion et pourrait être améliorée, dans certains contextes, de 10 à 25% par un passage au goutte-à-goutte et de 10 à 40% supplémentaires par le pilotage (apport de la bonne quantité d’eau, au bon moment)[2] .
L’outil d’évaluation des économies d’eau potentiellement réalisables présenté ci-après fournit une base pour estimer le pourcentage potentiel d’économie d’eau. Celui-ci est alors déterminé, selon le cas (Tableau 1), en repérant la case correspondante au changement de matériel d’irrigation (Tableaux 2) ou à l’acquisition de matériel de pilotage (Tableau 3).
La modernisation du système d’irrigation peut également conduire, en complément des économies d’eau, à des économies d’énergie et de main d’œuvre Pour en savoir plus, vous pouvez consulter le rapport « Potentialités d’économies d’énergie et de main d’œuvre au travers de la modernisation des systèmes d’irrigation », publié en Février 2020 [3].
Limites et conditions de réussite
Du fait de leur dépendance aux conditions climatiques, les valeurs d’économie d’eau réalisées par modernisation du système d’irrigation présentent une grande variabilité, de 0 à 77%, quel que soit le système d’irrigation ou le type de cultures[4] . Comme le montre le graphique ci-dessous, la valeur d’économie d’eau diminue lorsque que le déficit hydrique* augmente et même, au-delà d’un certain seuil de déficit atteint, ici 4.5, la modernisation du système d’irrigation seul ne suffit plus. Ceci s’explique notamment par la réduction des pertes par drainage lors d’une irrigation par aspersion en année sèche. En effet, en année sèche, le sol n’étant pas en partie saturé par de l’eau de pluie, sa capacité à absorber le surplus d’eau issu de l’irrigation par aspersion est plus importante qu’en année humide. Les pertes d’eau par percolation et stockage diminuent alors, améliorant ainsi l’efficience du système d’irrigation par aspersion et réduisant les écarts avec les systèmes localisés.
*Le déficit hydrique, sans unité, est calculé en faisant le rapport entre l’évaporation potentielle cumulée en mm et le cumul des précipitations en mm, sur la saison culturale.
Les études tendent donc à monter que pour garantir une diminution des pertes d’eau et s’affranchir de la dépendance aux conditions climatiques, la mise en place d’un système d’irrigation localisée doit être couplé à l’utilisation de sondes de mesure de l’état hydrique du sol pour le pilotage. Le pilotage de l’irrigation grâce à l’utilisation de ce type de sondes est, en effet, basé sur l’impact réel des précipitations sur la teneur en eau du sol et non pas sur la quantité totale de précipitations cumulées depuis le début de la saison culturale. Les économies ainsi obtenues varient entre 8 et 68%.
Attention, des expérimentations complémentaires sont nécessaires pour confirmer cette observation lors des années très sèches.
Cette étude a été réalisée à l’échelle de la parcelle et ne prend donc pas en compte les réseaux en amont de la parcelle, ni les appareils de pompage. De plus, les économies d’eau ont été évaluées à l’échelle de la saison culturale. L’idéal serait d’évaluer à terme ces économies pour une année sèche, une année humide et une année moyenne.
Pour finir, le passage d’une irrigation gravitaire à une irrigation sous pression n’a pas été étudié ici car les économies réalisées lors d’une telle conversion sont systématiquement supérieures aux objectifs affichés par l’Europe de 5 à 25% de réduction. Pour autant, l’abandon des systèmes gravitaires ne peut pas être décrété brusquement, car les aménités apportées par l’irrigation gravitaire sur l’environnement du secteur irrigué (recharge de nappe et usages multiples induits ou préservés) nécessitent une analyse plus riche qu’une simple étude quantitative des seuls volumes d’eau économisés.
Avantages et Inconvénients
Avantages | Inconvénients |
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Aspects économiques
Une analyse réalisée en 2012 par ARVALIS et la Fédération Nationale de la Production de Semences de Maïs et de Sorgho (FNPSMS), donne des exemples de coûts comparés du goutte-à-goutte enterré, de surface et de l’aspersion, pour une installation de 30ha de maïs irrigués à raison de 3000m3/ha (saison sèche).
Témoignages
"Si vous souhaitez réaliser des économies d’eau sur votre exploitation et que vous envisagez de changer votre système d’irrigation par aspersion pour passer à un système au goutte-à-goutte, n’oubliez pas que le pilotage de l’irrigation est indispensable pour atteindre vos objectifs d’économies d’eau. Vous devez connaître où vous irriguez, quand vous irriguez et avec quel volume d’eau." - Claire Serra-Wittling, ingénieure de recherche à l’INRAE Montpellier et auteure de l’article et du rapport qui nous ont servis à rédiger cette fiche.
En complément, retrouvez les retours d’expérience de :
- Bruno Cabé (producteur de maïs dans les Landes) qui réalise un essai de goutte-à-goutte enterré sur son exploitation depuis 2012 avec l’accompagnement technique de Julien Rabe (Conseiller gestion de l’eau, Chambre d’agriculture Landes).
- Sébastien Ballion (sous-directeur du CEFEL et responsable expérimentation) qui a réalisé un essai dans l’objectif de tester et comparer l’efficacité de l’irrigation localisée (goutte-à-goutte de surface) et de la micro-aspersion (micro-jet) par rapport à un système par aspersion sur frondaison, sur vergers de pommiers.
Cet article a été rédigé grâce à l'aimable contribution de Bonnes Pratiques pour l'eau du grand Sud-Ouest.
Sources