Cycle de l'azote en culture

De Triple Performance
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©Frédéric Thomas.


Cet article est issu d’un travail de recherche bibliographique. L’objectif était de faire un état des lieux synthétique sur le cycle de l’azote dans les sols agricoles. Afin d’organiser au mieux ce travail, des questions ont été posées sur les formes d’azote prélevées par les plantes, le devenir de l’azote consommé, les situations de faim d’azote mais aussi sur le fractionnement de la fertilisation azotée. Les réponses se basent sur les derniers résultats en la matière.

Quelles formes d’azote consomme une plante ?

Nos cultures consomment principalement des nitrates (NO3-) et de l’ammonium (NH4+) dans une moindre mesure. Les ratios absorbés dépendent de la culture et de son stade de développement. La recherche récente nous montre que les plantes cultivées sont aussi capables de consommer directement une partie de l’azote sous forme organique, comme des acides aminés, voire des protéines. Toutefois, nous ne connaissons pas à l’heure actuelle les potentiels d’absorption directe des formes organiques par nos cultures.

Quel devenir de l’azote une fois apporté au sol ?

Temps de transformation de l'urée en ammoniac selon la température (sol de limon incubé en laboratoire INRA-COFAZ[1]).

On entend souvent que la forme urée mettrait plusieurs semaines à minéraliser. C’est en réalité faux. En conditions froides, une dose d’azote fournie sous forme d’urée ou de solution azotée est entièrement hydrolysée en NO3- et NH4+ en un maximum de 3 à 8 jours. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’ajuster la date des apports en fonction du type d’engrais azoté utilisé (à part dans le cas d’une urée comportant un retardant).

Dans ce schéma, on peut voir que l’urée est entièrement minéralisée en quatre jours, et ce, même à de très basses températures.

Une fois arrivé au sol, l’engrais est minéralisé en NO3- et NH4+. Cet azote ne sera pas intégralement disponible et prélevé par les plantes, une part non négligeable sera immobilisée par l’activité biologique et la matière organique en décomposition. Cette proportion est comprise entre 30 et 40 %.


Source : SEBILO 2013, TETU 2023.


Il s’agit ici de la vision conventionnelle. En ACS, l’équation est certainement un peu modifiée avec le non-travail mécanique, les couverts végétaux et les mulch de paille en surface qui entretiennent un déficit d’azote chronique. La partie absorbée par les cultures est logiquement plus faible pour une partie plus importante intégrée dans les matières organiques, tout en réduisant fortement les pertes notamment par lessivage. C’est cette réduction de disponibilité qui finance la croissance de l’activité biologique et globalement du pool organique. C’est enfin cette immobilisation qui permettra progressivement d’augmenter les fournitures du sol afin de réduire, à terme, les niveaux de fertilisation grâce à une remise à disposition progressive.

Ensuite, quelle est la part de l’azote nouvellement apporté qui est réellement absorbée par les cultures ? On estime cette proportion aux alentours de 50 à 60 % en France. Dans le schéma ci-dessous, on voit que ce taux oscille de 30 à 70 % suivant les cultures, les pays et les années. En clair, il n’y a pas de précision et les conditions de sols, de climats mais aussi les pratiques culturales risquent de beaucoup modifier ce rapport. Parti de là, l’interrogation principale est la suivante : comment puis-je augmenter la part d’azote prélevée par mes cultures provenant des engrais ?

Part d'azote réellement absorbée par les cultures pour différents pays et années[2].

Comment augmenter la part d’azote prélevée par les cultures ?

La première chose à faire, c’est de chercher à limiter les pertes, qui se situent aux alentours de 20 % de l’azote apporté. Ces pertes ont lieu par volatilisation et lixiviation. On peut fortement limiter la volatilisation en enfouissant l’azote, en choisissant des formes peu volatiles et/ou en le positionnant au plus près d’une pluie de 15 mm. La lixiviation peut être très fortement réduite grâce à la mise en place de couverts végétaux systématiques.

Il faut aussi être au plus près des besoins physiologiques : on sait par exemple qu’une céréale a très peu de besoins avant le stade épi 1 cm. C’est à ce moment que la fourniture doit être maximale. Après un pois ou une féverole (des cultures pouvant laisser des reliquats azotés en entrée d’hiver de plus de 100 UN), implanter un blé peut donner lieu à de très fortes pertes sur la période automnale. On choisira plutôt d’implanter un colza ou, a minima, de mettre en place un couvert d’interculture courte entre la légumineuse et la céréale d’automne.

Et la faim d’azote ?

Enfouir des résidus carbonés dans le sol conduit nécessairement à une faim d’azote, comme le précise Frédéric Thomas sur le site A2C, il est admis qu’une tonne de paille incorporée au sol va rapidement mobiliser entre 10 et 15 kg de N/ha. Contrairement à ce que l’on peut penser, un mulch de paille en surface crée lui aussi une faim d’azote. Cette faim d’azote serait plus faible que lors d’un enfouissement du fait de la plus faible surface de contact des résidus avec le sol.

Comparé à un sol nu, ce sont près de 15 UN qui sont remobilisées au 10 octobre, contre 35 UN pour des pailles enfouies au rotavator. Cependant, ces types d’expérimentations et de mesures comportent un biais, car le travail du sol pour incorporer les résidus induit une minéralisation qui est captée par l’activité biologique de décomposition. Les prélèvements sont certainement plus importants que ceux mesurés qui, en fait, reflètent un bilan.

Enfin, et pour ce qui est de l’ACS et de la conservation des pailles et résidus en surface, la mobilisation de l’azote risque d’être très forte sur les premiers centimètres (3 à 5 cm) et de manière prolongée, même si de l’azote est présent en profondeur. C’est l’une des raisons qui fait la réussite du semis profond des couverts végétaux.


Organisation de l'azote minéral du sol après une restitution de 8 T/ha de paille de blé selon 3 modes d'enfouissement[3].

Et nos amis les vers de terre ?

Comme l’a montré Marcel Bouché, en écosystème prairial, les vers de terre ont une part prépondérante dans la nutrition azotée des plantes[4]. Par exemple, si on prend un blé à 80 q/ha, on regarde les besoins au quintal, soit environ 3 UN, on a donc des besoins totaux de 240 UN. On aura des prélèvements de 240 UN pour 140-150 UN/ha en fonction du taux de protéines réellement exportées dans les grains. Il s’agit ici d’un solde mais lors de sa croissance et de son développement, la culture va en réalité consommer de l’azote et en perdre continuellement par la perte de feuilles et de racines ou avec les exsudats racinaires, et ainsi consommer plusieurs fois le même azote. Le niveau des échanges est donc différent et certainement beaucoup plus important que ce solde.

De cette manière, des flux annuels de près de 580 UN/ha ont pu être mesurés sur prairies, transitant par les vers de terre (1,3 t/ha). Encore une fois, il n’y a pas un apport de 580 UN venant du néant, mais un pool d’azote consommé et perdu plusieurs fois, le tout circulant en très grande partie par les tubes digestifs des vers de terre et plus largement par l’activité biologique. Ces vers de terre sont donc bien des accélérateurs de minéralisation, en mettant à disposition le volant d’auto-fertilité. Cette observation, au-delà des quantités en jeu, met également en avant la continuité de la fourniture en azote qui est également un élément globalisé dans le concept d’auto-fertilité.

La fertilisation azotée du blé

Les besoins en azote ne sont pas les mêmes à tous les stades du blé. Du semis au stade tallage, un blé ne consomme qu’une trentaine d’unités puis les besoins vont décoller une fois arrivé au stade épi 1 cm. De cette manière, un apport précoce trop important ne sera pas intégralement valorisé par la plante et sera laissé en attente dans le sol. On pourrait se dire qu'au vu des conditions incertaines du printemps, autant en mettre un grand coup au démarrage pour être tranquille, quitte à ce que ça dorme dans le sol, mais bien que cette stratégie soit envisageable, elle a le désavantage d’atrophier le système racinaire du blé, ce qui peut poser souci en conditions sèches.

Courbe des besoins azotés pour un blé tendre à 90 q/ha[5].


Effets de l'azote sur le développement racinaire et aérien du blé[6].

Dans cet essai publié en Chine, plus le blé se développe en conditions chargées en azote, plus son système racinaire est petit, et ce, malgré un aspect aérien très flatteur. Inversement, un blé, comme n’importe quelle culture, va privilégier son système racinaire au détriment du développement aérien si le sol manque de fertilité. Dès lors, en conditions séchantes, le blé flatteur risque de dépérir plus vite à cause de sa plus faible biomasse racinaire. C’est certainement une stratégie entre les deux qu’il faut développer et surtout bien adapter localement aux sols, climats et pratiques.

Quid du fractionnement de la fertilisation sur une céréale en ACS

Depuis deux ans, les premiers résultats d’essais nous parviennent sur le fractionnement azoté sur blé tendre d’hiver dans un contexte ACS. On peut notamment citer les essais Arvalis-Apad menés en 2021-2023 sur plus de 20 plateformes, ceux de la Chambre d’Agriculture des Hauts-de-France et les essais de Thierry Tetu de 2019 à 2021. Lorsqu’on examine le graphique des résultats des essais Arvalis-Apad (figure 6), on constate que le fractionnement de la dose d’azote est bénéfique pour augmenter le rendement (1,4 q/ha) et la teneur en protéines (+0,25 %), comparé à une méthode où l’on solde tout en un ou deux apports avant montaison. Il a aussi été noté que l’absence d’apport d’azote pendant la phase de tallage des cultures a un impact négatif sur le rendement en ACS, à cause du retard de minéralisation.


Rendement et teneur en protéines "tout avant montaison" vs "fractionnement classique".


Ces constatations corroborent les expériences des agriculteurs qui pratiquent l’agriculture de conservation des sols, car ils ont observé que l’apport d’une part substantielle de la dose d’azote lors du premier apport contribue à garantir un bon rendement, tandis qu’un apport supplémentaire permet de préserver la qualité des cultures.

De leur côté, Kevin Allard et Thierry Tetu ont mené une expérience terrain sur trois ans pour évaluer l’impact de différentes stratégies de fertilisation azotée sur le blé tendre d’hiver en ACS et en mélange variétal. Ces blés ont été implantés sur un précédent légumineuse. Des courbes de réponse à l’azote ont été mises en place, tout en étudiant un fractionnement optimal des apports azotés vis-à-vis de trois stades clé : plein tallage, premier nœud et dernière feuille pointante. Le fractionnement a été appliqué comme suit en pourcentage de la dose totale d’azote appliquée :

  • S1 = 40 % / 40 % / 20 %.
  • S2 = 50 % / 30 % / 20 %.
  • S3 = 50 % / 50 % / 0 %.
Rendement du blé en fonction de la dose d'azote et du fractionnement.


Dans ce système ACS et dans le contexte particulier des sols productifs des Hauts-de-France, les expérimentations ont montré qu’au niveau optimal de fertilisation de 200 UN, une répartition de 40 % / 40 % / 20 % au moment du plein tallage, au premier nœud et dernière feuille pointante, semblait être la meilleure option pour obtenir la plus grande productivité des plantes. Ces résultats montrent qu’un fractionnement optimal de l’azote est en réalité plus important que la dose totale apportée.

Pour résumer :

  • Les besoins en azote sont physiologiques et ne varient que peu entre ACS et conventionnel.
  • Il est possible de solder en deux apports, mais cela impactera la protéine et le rendement.
  • L’optimum reste de fractionner.

Et si, dans bien des secteurs, l’azote n’était pas le facteur limitant ?

Dans cet essai réalisé sur sols superficiels en conservation des sols, on peut voir que la modalité 0 UN a sorti 37,7 q/ha de blé, contre seulement 57 q pour 145 UN ou encore 61 q pour 210 UN. On peut donc voir une efficacité de l’azote bien faible.


Essais azotés blé ACS 2022.


Pour comprendre ce phénomène, il faut s’intéresser au travail de la Grains Research and Development Corporation en Australie. Ces agronomes ont développé une notion de millimètre d’eau/quintal, qui s’ajoute à celle que nous connaissons de kilogramme d’azote/quintal. Ils nous montrent que l’azote n’est un facteur limitant que dans un second temps, et que si les besoins minimaux en eau ne sont pas pourvus, alors l’efficacité de l’azote s’effondre.

Rendement du blé en T/ha selon le niveau d'alimentation en eau[7].


Dans un contexte de printemps sec souvent possible mais très difficile à prévoir, ne serait-il donc pas primordial de s’intéresser à l’efficacité de l’eau, en croisant pluviométrie, réserve utile et mesure d’humidité résiduelle dans le sol pour pouvoir optimiser au mieux la fertilisation ? Il faut également intégrer que l’humidité du printemps conditionne aussi la minéralisation et augmente, de fait, l’azote disponible d’autant plus que l’auto-fertilité est forte.


Selon Frédéric Thomas, en matière d’azote, il faut certainement oublier dans un premier temps l’idée de précision étant donné le nombre d’éléments aléatoires : prélèvement par l’activité biologique et les matières organiques, impact du climat sur la redistribution et la minéralisation, niveau d’auto-fertilité pour les principaux. En complément, l’ACS, en limitant énormément les risques de lessivage grâce à une organisation biologique des sols et le recyclage par les couverts, apporte plus de flexibilité. Cependant, et comme il faut souvent passer une barrière organique chroniquement en faim d’azote, il semble préférable de "charger" et plus choisir les bonnes conditions d’application que le stade idéal de la culture. Enfin, la mesure du potentiel de minéralisation, plus que celui des reliquats, associé à des témoins zéro azote semble les meilleurs moyens d’évaluer l’évolution de l’auto-fertilité afin d’ajuster les doses globales en fonction des objectifs de rendements.

Sources

Martin Rollet et TCS N°126. Janvier-Février 2024.


Annexes


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