Maîtrise des adventices par les leviers agronomiques
Leviers agronomiques : rotation, décalage des dates de semis, allélopathie, ...
La gestion des adventices est un enjeu majeur en agriculture, particulièrement en grandes cultures, où elles sont considérées comme la menace principale. Leur présence peut réduire significativement les rendements des cultures en entrant en compétition pour les ressources (lumière, eau, nutriments). L'approche agronomique, qui favorise des méthodes alternatives à l'utilisation d'herbicides, s'appuie sur un ensemble de leviers visant à perturber le cycle de vie des adventices et à réduire leur impact. Ces pratiques s'inscrivent dans une logique d'agroécologie, alliant efficacité et durabilité.
Analyse du salissement de la parcelle
Il est important de prendre en compte l'historique d'infestation de la parcelle, qui détermine en partie l'état de salissement et les risques à venir sur plusieurs années, en fonction du stock grainier potentiel. La connaissance de la parcelle permet aussi de gérer les risques à court terme. Par exemple, la quantité d'adventices présente en entrée d'hiver (interculture) influence leur densité en sortie d'hiver et au début de la culture suivante[1].
Identification des adventices
Vous pouvez reconnaître un certain nombre d'adventices des grandes cultures sur InfloWeb. Vous y trouverez les conditions favorables à leur implantation, leur seuil de nuisibilité, leur profondeur de levée et des moyens de lutte alternatifs. Sur Diagbet (ITB et al.) vous avez accès à 130 adventices et 32 graminées, avec leurs caractéristiques biologiques et les différents stades végétatifs d'identification.
Type biologique | Durée du cycle | Reproduction sexuée | Multiplication végétative | Exemples |
---|---|---|---|---|
annuel | 1 an | oui | non | Gaillet gratteron |
bisannuel | 2 ans | oui | non | Carotte sauvage |
pluriannuel | plusieurs années | oui | oui (accidentel) | Rumex crépu |
vivace | éternel | oui (minoritaire) | oui (majoritaire) | Chardon des champs |
Seuil de nuisibilité
Les seuils de nuisibilité des adventices représentent la densité d'adventices nécessaire pour provoquer une chute de rendement de 5% dans une culture.[3]
Types de nuisibilité
- Nuisibilité directe : Elle affecte le potentiel de rendement de la culture par compétition pour les ressources (lumière, eau, éléments nutritifs).
- Nuisibilité indirecte : Elle comprend des effets à court terme (diminution de la qualité du produit récolté) et à long terme (augmentation du stock semencier, développement de maladies). La nuisibilité indirecte, notamment l'augmentation du stock de graines, peut avoir des conséquences considérables. Une seule matricaire peut produire jusqu'à 20 000 graines, et même si toutes ne germent pas, le potentiel de multiplication est énorme. Des études montrent que l'absence de désherbage spécifique peut conduire à une explosion de la population de vulpin dans une rotation[4].
Optimisation des pratiques de culture
Gestion des successions et rotations culturales
Rotation de culture
La rotation des cultures est une méthode agronomique clé pour lutter efficacement contre les adventices. Cette pratique consiste à alterner les types de cultures, notamment d'hiver, de printemps et d'été, sur une parcelle donnée selon un cycle planifié. Cela entraîne un déséquilibre des cycles biologiques des adventices, souvent adaptées à une culture spécifique, elles ne trouvent donc plus les conditions favorables à leur croissance lorsque la culture change. En alternant les cultures principales, qui occupent différemment l'espace et les ressources dans le temps, on réduit les niches disponibles pour les adventices. En évitant la monoculture, on évite aussi l’accumulation de graines spécifiques à une culture dans le sol. L’optimum se situe ici à partir de 5 cultures différentes dans la succession culturale, pour minimiser la densité des adventices.
Décalage des dates de semis
Le décalage de la date de semis est une technique efficace pour lutter contre les adventices, en particulier les graminées comme le vulpin et le ray-grass, dans les cultures de céréales d'hiver. En retardant le semis, on s'éloigne de la période où les adventices lèvent le plus facilement, ce qui réduit leur densité dans les cultures[5]. Un décalage de 20 jours peut réduire de 18 à 89% les populations de vulpins et de ray-grass, avec une moyenne proche de 60%[6]. Avec des populations réduites, les adventices sont plus faciles à gérer mécaniquement ou chimiquement.
Faux-semis
Le faux-semis est une technique culturale qui consiste à préparer le sol comme pour un semis, mais sans semer la culture principale. Il permet de faire germer les graines d'adventices présentes dans la couche superficielle du sol (1 à 5 cm de profondeur), puis de les détruire avant qu'elles ne se reproduisent. Le faux-semis permet de gérer les adventices en amont, évitant ainsi la concurrence avec la culture principale après son implantation.
Bonne | Vulpin, ray-grass, bromes, radis sauvage, colza |
Moyenne | Sanve, gaillet, ravenelles, géranium |
Nulle à faible | Vivaces ( chardon, chiendent, liseron, rumex ) |
Implantation d’un couvert végétal
Les couverts d'interculture (aussi permanent, double culture) sont implantés pour favoriser la compétition entre deux ou plusieurs plantes, elles se partagent alors une ressource limitante.
Composition d'un couvert
- Nombre d'espèces : Au-dessus de 5 espèces la quantité de biomasse produite n'augmente plus, plus on augmente le nombre d'espèces et plus chaque espèce va être semée à une faible quantité.
- Couverts végétaux concurrentiels : ils peuvent contribuer à la réussite du désherbage sans glyphosate. Par exemple, un couvert de sorgho piper et de tournesol suivi d'une féverole d'hiver a permis de contrôler efficacement les adventices avant la culture du maïs[8].
- Couvert permanent : par exemple, maintenir un couvert de trèfle blanc nain en permanence sur la parcelle limite la croissance des adventices par compétition. Le trèfle blanc nain offre une couverture importante du sol et entre en compétition avec les adventices pour les ressources, les affaiblissant et limitant leur développement. Cependant, il est important de contrôler sa croissance pour éviter qu'il ne devienne concurrentiel à la culture principale[8].
- Couvert étouffant : des essais en colza-blé ont montré que le colza associé à un couvert (lentille, trèfle d'Alexandrie, féverole, trèfle blanc) était moins infesté que le colza seul en entrée d'hiver. En interculture blé-tournesol, un couvert étouffant, composé d'avoine, de trèfle d'Alexandrie et de phacélie, était moins infesté d'adventices en entrée d'hiver qu'un couvert minimal réglementaire (Avoine et vesce commune, ou moutarde). Cependant, cet effet n'a pas été observé sur l'enherbement dans la culture suivante.[9]
- Forte biomasse : Les résultats montrent que des couverts à forte biomasse réduisent significativement les adventices pendant l'interculture, mais pas nécessairement dans la culture suivante[9].
- Couvert à croissance rapide : La vitesse de couverture du sol a un impact significatif sur la biomasse des mauvaises herbes, mais pas sur leur densité. L'effet de la vitesse de couverture du sol sur la biomasse des mauvaises herbes est lié à la compétition pour les ressources, notamment la lumière. La densité des mauvaises herbes est moins affectée par la vitesse de couverture et dépend davantage des conditions du milieu.[10]
Densité de semis
Une forte densité de semis (du blé) peut offrir un contrôle des adventices comparable au glyphosate, avec des rendements similaires, dans des conditions de couvert permanent. Il semble que l'augmentation de la densité compense la compétition du couvert de trèfle, permettant au blé de mieux s'implanter et de se développer[11].
Type de semis
- Semis simultané : Pour maximiser les chances de réussite, il est recommandé de semer les plantes compagnes en même temps que le tournesol.[12]
- Semis direct : Le semis direct minimise la perturbation du sol, ce qui limite la remontée des graines d'adventices en surface et donc leur germination.
Destruction du couvert
Il est important de réfléchir au mode de destruction avant l'implantation, pour minimiser les levées d'adventices dans la prochaine culture.
Contrôle du réensemencement de la parcelle
L’installation d’un récupérateur de menue paille sur les moissonneuses-batteuses est une solution innovante pour limiter la dissémination des graines d’adventices dans les champs. Cet outil collecte les résidus de récolte, tels que les graines d’adventices, qui seraient autrement dispersées sur la parcelle. On limite leur capacité à germer et à proliférer lors des saisons suivantes. La menue paille collectée peut être utilisée pour le paillage ou comme biomasse, ajoutant une valeur économique à cette pratique.
Prévenir la contamination croisée par le nettoyage des outils de récolte
Le nettoyage minutieux des outils de récolte est une mesure préventive essentielle pour éviter la dispersion des graines d’adventices d’une parcelle à une autre. Les moissonneuses-batteuses, les tracteurs et les autres équipements peuvent facilement transporter des graines accrochées aux résidus de culture. Nettoyer systématiquement après chaque parcelle son matériel empêche les graines d’adventices récoltées dans une parcelle infestée de se retrouver dans une parcelle saine. L’air comprimé ou les laveuses haute pression permettent de déloger les résidus et les graines des zones difficiles d'accès. On peut aussi commencer les récoltes par les parcelles les moins infestées, on limite alors le risque de contamination croisée.
Prédation des graines
La prédation des graines par des insectes (beaucoup d'invertébrés : carabes, fourmis) ou des oiseaux peut jouer un rôle dans la régulation naturelle des adventices. En encourageant la biodiversité sur les parcelles agricoles, on favorise les prédateurs naturels capables de consommer une partie des graines avant leur germination. Il est possible d'installer des haies, des bandes enherbées ou des nichoirs pour attirer et maintenir les populations d’oiseaux et d’insectes granivores. Certaines pratiques comme le non-labour permettent de conserver les graines à la surface, les rendant accessibles.[13]
Gestion des ressources
Gérer l'irrigation
L'irrigation peut avoir un effet sur le salissement des parcelles en favorisant le développement de la culture ou bien celui des adventices selon leur capacité à exploiter la ressource, la période et la quantité des apports[14]. Il faut donc éviter les conditions favorisant la levée des adventices, en stoppant l'irrigation ou en irrigant longtemps après le semis. Il y aura alors moins d'humidité pour la germination et la levée des adventices, mais cela peut aussi réduire la croissance des cultures principales.[15]
Spatialiser la fertilisation azotée
La fertilisation joue un rôle dans la gestion du salissement selon que les apports vont profiter au développement de la culture ou à celui des adventices. Par exemple, des apports d'engrais localisés sur la ligne de semis peuvent renforcer le pouvoir concurrentiel de la culture en favorisant sa croissance et la fermeture rapide du couvert. La nature, la période (au semis ou en culture) et le mode d'application (en localisé ou en plein) de la fertilisation doivent donc être réfléchis pour une bonne valorisation par la culture[14]. Des revues de littératures s'accordent majoritairement sur le fait que l’application de l’azote sur le rang favorise la croissance de la culture plus que celle des adventices. [16]
Utilisation des interactions écologiques
Plantes compagnes
Une plante compagne est une plante de service implantée pendant une culture principale dans la parcelle, sans finalité productive. Ces plantes ont pour but de fournir un ou plusieurs avantages (services écosystémiques) à la culture en place ou aux suivantes dans la rotation. Les plantes compagnes occupent l'espace et limitent ainsi le développement des adventices. La présence de plantes compagnes peut diminuer la biomasse des mauvaises herbes de 56% en système non désherbé et de 42% en système désherbé[17].
Allélopathie
L'allélopathie est l'ensemble des interactions biochimiques entre les plantes ou entre les plantes et les microorganismes. Ce phénomène implique la libération de composés chimiques, appelés allélochimiques, par les plantes dans leur environnement. L'incorporation de crucifères dans le sol produit, lors de leur décomposition, des molécules affectant les maladies du sol et les mauvaises herbes. Néanmoins, il est souvent difficile de dissocier l'effet allélopathie de l'effet compétition.
Mycoherbicides (encore exploratoire)
La gestion des adventices à l'aide de champignons parasitaires est une approche biologique innovante mais encore en développement. Les champignons parasitaires peuvent être spécifiques à des adventices particulières, réduisant ainsi les risques pour les cultures et les autres espèces végétales. Ils s'appliquent au champ sous forme de suspensions pulvérisées[18]. Étant des organismes naturels, ils sont généralement considérés comme plus écologiques que les herbicides synthétiques. Leur coût est un facteur à considérer.
Avantages et limites des leviers agronomiques
Les leviers agronomiques offrent plusieurs avantages, notamment la réduction des coûts liés aux intrants chimiques, l'amélioration de la biodiversité et la préservation de la qualité des sols et de l'eau. Cependant, leur mise en œuvre nécessite une planification rigoureuse et une connaissance approfondie des dynamiques culturales et des adventices, et peut entraîner un allongement du temps de travail. Ces approches sont souvent spécifiques à un contexte agroclimatique et demandent une adaptation continue face aux pressions environnementales et économiques.
Pour aller plus loin
- La succession culturale, Agro-Transfert, 2011
- Adventices : comment les gérer avec des méthodes alternatives ?, EcophytoPIC, 2021
- Note nationale Gestion des adventices dans les rotations « grandes cultures » par des méthodes alternatives, ACTA et al., 2015
- L’importance de la rotation de culture, ses avantages et ses inconvénients, AgroLeague
- Mécanismes de régulation biologique des adventices par les couverts végétaux, Delphine Moreau et al., 2022
- Salissement des parcelles : la rotation contre les adventices, Cécile Waligora, 2008
- Les couverts permanents, une alternative aux cultures intermédiaires classiques, Arvalis, 2022
- ↑ Effet de l'introduction de couverts d'interculture sur les adventices : analyse d'un réseau d'essais (Projet VANCOUVER), F. VUILLEMIN et al., 2019
- ↑ Eléments de biologie des mauvaises herbes, Alain Rodriguez, 2010
- ↑ Désherbage des grandes cultures : quelle est la nuisibilité des mauvaises herbes ?, Arvalis
- ↑ Déterminer les seuils de nuisibilité des adventices lors des tours de plaine, Corinne Thierry, 2021 [page consultée le 10/12/2024] https://www.bayer-agri.fr/cultures/determiner-les-seuils-de-nuisibilite-des-adventices-lors-des-tours-de-plaine_5188/
- ↑ Gestion des adventices : faut-il décaler la date de semis des céréales d’hiver ?, Plein champ, 2021 https://www.pleinchamp.com/actualite/gestion-des-adventices-faut-il-decaler-la-date-de-semis-des-cereales-d-hiver
- ↑ Faut-il décaler la date de semis des céréales d’hiver ?, Pleinchamp, 2021, https://www.pleinchamp.com/actualite/faut-il-decaler-la-date-de-semis-des-cereales-d-hiver
- ↑ Faux semis, FiBL et Agridea, Février 2010 https://www.gutelandwirtschaftlichepraxis.ch/fileadmin/user_upload/Le_faux_semis.pdf
- ↑ 8,0 et 8,1 Gestion de l'enherbement en ACS : Quelles alternatives agronomiques au glyphosate ?, TCS n°122, Apad, 2023
- ↑ 9,0 et 9,1 Effet de l’introduction de couverts d’interculture sur les adventices : analyse d’un réseau d’essais (projet VANCOUVER), F. Vuillemin et al., 2019
- ↑ Impact de la conduite des cultures intermédiaires sur la flore adventice : résultats de l’analyse de 31 essais, N Colbach et al., 2022 https://www.researchgate.net/publication/363474690_Impact_de_la_conduite_des_cultures_intermediaires_sur_la_flore_adventice_resultats_de_l'analyse_de_31_essais
- ↑ Maîtriser les adventices dans le blé par un couvert permanent de légumineuse dans un système en semis direct sous couvert végétal géré sans glyphosate : quelques enseignements du Casdar Engaged, C Douay et al., 2022 https://agronomie.asso.fr/fileadmin/user_upload/revue_aes/aes_vol12_n1_juin2022/pdf/aes_vol12_n1_09_douay-et-al.pdf
- ↑ Tournesol associé - Résultat des essais démonstratifs, EPLEA Courcelles-Chaussy - Flora Loridat, 2015 https://agriculture-de-conservation.com/sites/agriculture-de-conservation.com/IMG/pdf/tournesol-associe.pdf
- ↑ Intervention de Sandrine Petit sur l'estimation de l'impact de la prédation des graines sur les adventices et le rendement lors du colloque sur le projet COPRAA du 26/11/2024 https://vimeo.com/1036614502
- ↑ 14,0 et 14,1 FOCUS N°3 : Méthodes alternatives de gestion des adventices, ECOPHYTOPIC, 2013 https://ecophytopic.fr/sites/default/files/actualites_doc/Focus%203_Desherbage%20alternatif_0.pdf
- ↑ Intervention de Nathalie Colbach sur les nouvelles pratiques pour des systèmes de culture sans travail du sol, ni herbicides lors du colloque sur le projet COPRAA du 27/11/2024, Diaporama et vidéo disponible : https://ciag.hub.inrae.fr/carrefours-de-l-innovation-agronomique/copraa
- ↑ Intervention de Bastien Boquet sur la spatialisation de l'apport d'azote sur le rang de semis de la culture pour réguler les adventices du 26/11/2024 https://vimeo.com/1036554168
- ↑ Les plantes compagnes légumineuses réduisent la pression des mauvaises herbes, Terre-net, 2018 https://www.terre-net.fr/desherbage/article/133800/les-plantes-compagnes-legumineuses-reduisent-la-pression-des-mauvaises-herbes
- ↑ Utiliser des moyens biologiques contre les adventices, EcophytoPIC, 2018 https://ecophytopic.fr/leviers/proteger/utiliser-des-moyens-biologiques-contre-les-adventices