Appréhender les besoins protéiques des ruminants

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Holsteins ingérant une ration complexe à l'auge


L'alimentation des ruminants se fait à l'aide de fourrages et de concentrés. Dans le cadre de l'autonomie protéique, il est fondamental de calculer les rations pour son troupeau afin de déterminer la surface nécessaire à la production des aliments. Nous nous concentrerons sur la partie protéique de la ration.

Estimer les besoins et les apports

Besoins

Chez les ruminants, l'essentiel de la digestion a lieu à l'aide de micro-organismes dans le rumen. Les bactéries et protozoaires de cette panse dégradent les aliments en nutriments, et synthétisent des protéines (sous forme d'acides aminés) qui pourront ensuite être assimilées par les animaux via leur intestin. De fait, les besoins protéiques des ruminants sont exprimés en PDI (Protéines digestibles dans l’intestin). Ci-dessous une estimation générique des besoins moyens de certains ruminants est présentée. Le calcul des besoins doit cependant être fait au cas par cas.

Besoins protéiques moyens des ruminants estimés à partir des tables INRA (2007) PV : Poids Vif ; TP : taux protéique du lait ; PL : production du lait
Espèce Caractéristiques Besoins moyens en PDI (g/j)
Bovins allaitants Charolaise, PV = 650 kg, début d'allaitement 800
Bovins laitiers Holstein, PV = 650 kg, TP = 32 g/L, PL = 30 kg/j 1920
Ovins laitiers Lacaune, PV = 70 kg, TP = 56 g/L, PL = 3 kg/j 247
Caprins laitiers Saanen, PV = 60 kg, TP = 32 g/L, PL = 3 kg/j 185

Apports

Une fois les besoins calculés, il faut déterminer les caractéristiques des aliments, et en l'occurrence leur teneur en protéines afin de les apporter dans une ration cohérente pour les animaux. Si l'unité couramment utilisée pour quantifier cette teneur est la MAT (Matière Azotée Totale), elle n'est pas tout à fait adaptée à l'élevage de ruminants. En effet, l'activité microbienne du rumen qui permet de dégrader ces protéines nécessite de l'énergie et de l'azote pour être suffisamment efficace. Pour cette raison on distingue les protéines des aliments consommés par les ruminants en deux catégories :

  • Les PDIN ou Protéines Digestibles dans l’Intestin grêle (PDI) permises par l’azote (N) apporté par l’aliment.
  • Les PDIE ou Protéines Digestibles dans l’Intestin grêle (PDI) permises par l’énergie (E) apportée par l’aliment[1].

Une ration est composée en grande partie de fourrages, aliments bon marché et riches en fibres, et peut être complétée ou non avec des concentrés. Leur valeur alimentaire est calculée à l'aide de différentes caractéristiques résumées dans le tableau ci-dessous.

Type Caractéristiques influençant la valeur alimentaire
Fourrage vert Espèce ou lieu d'origine pour les prairies permanentes, cycle (nombre de fauches+1), stade.
Fourrage conservé Espèce ou lieu d'origine pour les prairies permanentes, cycle, stade.

Mode de conservation, conditions de récolte, teneur en matière sèche.

Aliment concentré Nature (concentration en protéines, en cellulose brute...).

Les valeurs de PDIN et PDIE de ces aliments peuvent être trouvées, sous forme de moyennes, dans les tables d'alimentation développées par l’INRA. Quelques exemples sont donnés dans le tableau ci-dessous :

PDIE PDIN brut
Foin 82 69
Tourteau de soja 220 320
Ensilage de maïs 98 61
Luzerne déshydratée 100 119

Acides aminés limitants chez la vache laitière

Chez la vache laitière, les deux acides aminés considérés le plus fréquemment comme limitant la synthèse des protéines sont la lysine et la méthionine. Peu importe le stade de lactation, les besoins sont de 2,5 % des PDIE pour la méthionine et de 7,3 % des PDIE pour la lysine.[2] Les teneurs des aliments en méthionine (MetDi) et en lysine (LysDi) sont disponibles dans les tables de l'INRA. Si les besoins ne sont pas couverts, une baisse de la teneur protéique du lait sera observée. Une baisse de la production laitière est aussi possible.[3]

Exemple : L'orge possède une teneur de 102 g de PDIE/kg MS. Dans ces PDIE, on retrouve une teneur LysDi de 6,83% et MetDi de 1,88 %. On peut donc prévoir quelles quantités de ces deux acides aminés seront apportées selon la quantité d'orge apportée à la ration. Si les besoins ne sont pas couverts, on peut aussi prévoir la réponse du TP (Taux Protéique) du lait.

Formuler une ration

Il existe 4 types de rations :

  • La ration complète : Cette technique offre à l'éleveur un gain de temps considérable, car elle consiste à mélanger préalablement fourrages et concentrés puis à distribuer ce mélange aux animaux. Il n'y a aucun apport individuel de concentré. Si elle permet aussi un bon fonctionnement du rumen, elle tient compte d'un objectif moyen de production. Dans le cas des bovins laitiers par exemple, les vaches à haut niveau de production seront donc sous-alimentées et celles qui produisent faiblement seront suralimentées.
  • La ration semi-complète : Pour éviter cet inconvénient de la ration complète, l'éleveur peut choisir de diminuer la part énergétique de la ration et de distribuer aux vaches hautement productrices un complément concentré. Les vaches à faible production ne seront ainsi par suralimentées. Il y a cependant un investissement temporel important de la part de l'éleveur.
  • La complémentation individualisée : Cette fois-ci, l'alimentation est totalement individualisée. Les concentrés sont administrés animal par animal. Cela permet donc un ajustement précis aux besoins de chaque individu. Cela requiert cependant un temps considérable.
  • La ration par lot : Ce mode de rationnement consiste à séparer son troupeau par lots et à créer une ration pour chaque lot en fonction de la production et/ou du stade de lactation dans le cas des vaches laitières.


Dans tous les cas , une ration bien équilibrée aura un apport en PDIE égal aux besoins en PDI du ruminant, et un apport en PDIN égal ou éventuellement supérieur à l’apport en PDIE. En effet, si PDIN<PDIE, il y aura un manque d’azote dégradable pour la flore microbienne du rumen. Un léger déficit, défini à l'aide du Rmic (Ratio microbien), peut cependant être accepté pour chaque espèce et chaque production.

Ce rapport Rmic permet de vérifier le bon fonctionnement du rumen. Celui-ci est défini par la formule (PDIN – PDIE)/UF*, et doit être supérieur à une valeur seuil, le Rmin (Ratio microbien minimal), pour assurer un bon fonctionnement de la panse.

*UF est l’encombrement fourrager, valeur également consultable dans les tables de l’INRA.

Rmin selon les tables de l'INRA (2007)
Espèce Caractéristiques Rmin
Bovins allaitants En lactation -17
Bovins laitiers PL = 30 kg/j -4
Ovins laitiers PL = 2 kg/j -6
Caprins laitiers PL = 3 kg/j -7

Un tableau plus détaillé est disponible dans les tables de l'INRA (2007).

  • Si le rapport Rmic est supérieur à la valeur seuil, la ration est acceptable. Cependant s'il est très largement supérieur, il y aura plus d’azote dans l’urine et donc des rejets azotés excessifs qui peuvent avoir des conséquences économiques et environnementales.
  • Si le rapport Rmic est inférieur au Rmin il faut revoir la ration. Trois possibilités sont alors envisageables :
    •  Ajouter à la ration un aliment riche en azote fermentescible (exemple : urée en complément alimentaire)
    • Changer les concentrés pour un aliment avec une plus forte valeur de PDIN (exemple : remplacer le tourteau de colza par du tourteau de tournesol).
    • Introduire un fourrage riche en PDIN à la ration (exemple : un ensilage d’herbe en complément d’un ensilage de maïs).

Les autres besoins (énergétiques, minéraux, oligo-éléments et vitamines) doivent aussi être vérifiés pour ne pas induire de carence.

Stratégies d'alimentation : cas des vaches laitières

Les stratégies d'alimentation des vaches laitières sont le plus souvent basées sur le fourrage disponible sur l'exploitation complété par des concentrés produits ou non sur l'exploitation aussi, pour couvrir les besoins des animaux. Si la densité énergétique nécessaire augmente avec la production de lait, le rapport PDIE/UFL (Unités Fourragères Lait) varie peu et on considère qu'un rapport de 100 g PDIE/UFL est idéal pour une ration équilibrée [2].

Il faut alors trouver un compromis entre les besoins individuels très différents au sein du troupeau et une simplification de l'alimentation tout en optimisant l'utilisation d'aliments concentrés. Pour cela, différentes stratégies existent. On développe ici quelques exemples de stratégies de ration, étudiées sous l'aspect de l'alimentation protéique.

Stratégie de ration pour une vache laitière en pleine lactation

Pour cet exemple, on choisit une vache laitière multipare de 700 kg, en pleine lactation, de 41 L de production maximale potentielle, 34 L produits par jour en 16e semaine à 40 g/kg de TB (Taux Butyreux) et 32 g/kg de TP (Taux Protéique). Ses besoins azotés sont de 2146 g PDI.

Sa ration est détaillée dans le tableau suivant :

Aliment PDIN

(dans la ration)

PDIE

(dans la ration)

Quantité ingérée Apports PDIN Apports PDIE
Fourrage Ensilage de dactyle 1er cycle, 1 semaine avant épiaison, brins courts, avec conservateurs 112g/kgMS 75g/kgMS 17kgMS 1904 g 1275 g
Concentré Triticale en grain 72g/kgMS 96g/kgMS 4,8kgMS 345,6 g 460,8 g
Total 2250 g 1735 g

On observe un déficit de 410g de PDIE. Dans cette ration, l'énergie est le facteur limitant de la synthèse microbienne. Il faut donc substituer une partie du triticale par un concentré plus riche en azote. On choisit du tourteau de soja :

Aliment PDIN

(dans la ration)

PDIE

(dans la ration)

Quantité ingérée Apports PDIN Apports PDIE
Fourrage Ensilage de dactyle 1er cycle, 1 semaine avant épiaison, brins courts, avec conservateurs 112g/kgMS 75g/kgMS 17kgMS 1904 g 1275 g
Concentré Triticale en grain 72g/kgMS 96g/kgMS 2,3kgMS 165,6 g 220,8 g
Concentré Tourteau de soja 377g/kgMS 261g/kgMS 2,5kgMS 942,5 g 652 g
Total 3012 g 2147 g

Les apports de PDIE sont bien égaux aux besoins en PDI et les apports en PDIN sont supérieurs à ceux en PDIE. Cette ration est donc désormais équilibrée du point de vue protéique.

Pour vérifier le bon fonctionnement du rumen, on calcule le Rmic (dans notre exemple il s'agit de bovin ayant une production laitière donc on utilise l'UFL) :

(PDIN-PDIE)/UFL = (3012-2147)/23,5 = 36,8 > 0. Le fonctionnement de la panse est assuré.

Stratégie d'alimentation d'une vache laitière au pâturage

On prend pour cet exemple une vache laitière multipare de 650 kg PV, de 32 kg de production laitière potentielle, avec des besoins azotés de 2040 g PDI. La prairie pâturée est une prairie permanente de plaine, la hauteur de l'herbe en entrée est de 12 cm et de 5 cm en sortie. On apporte de l'ensilage de maïs en complément ainsi que de l'orge en grain.

Aliment PDIN PDIE Quantité ingérée Apports PDIN Apports PDIE
Prairie pâturée Prairie permanente de plaine 114g/kgMS 98g/kgMS 13,1kgMS 1493,4g 1283,8g
Fourrage Ensilage de maïs 61g/kgMS 98g/kgMS 3kgMS 183g 294g
Concentré Orge en grain 79g/kgMS 101g/kgMS 4,6kgMS 363,4g 464,6g
Total 2039,8g 2042,4g

Les apports en PDIE couvrent bien les besoins azotés. Cependant les apports en PDIN sont légèrement inférieurs à ceux en PDIE, mais cette différence est acceptable.

Pour vérifier le bon fonctionnement du rumen, on calcule le Rmic :

(PDIN-PDIE)/UFL = (2039,8-2042,4)/21 = -0,1 > -4

Ainsi, le Rmic est bien supérieur au Rmin des vaches laitières (-4). Le fonctionnement de la panse est donc assuré.

Limites à prendre en considération

Digestibilité des protéagineux

Certains fourrages ou graines de protéagineux ont la particularité d'être météorisants et assez peu digestibles par les ruminants. C'est un facteur à prendre en compte lors du choix des espèces qui entreront dans la ration. Il existe néanmoins des solutions techniques pour remédier à ce problème, notamment via les technologies de traitement thermique telles le "toastage", ou encore "l'extrusion", qui ont pour but d'augmenter la dégradabilité dans le rumen et la digestibilité dans les intestins de ces aliments [4][5]. Il faut cependant noter que, hors du cadre théorique, les bénéfices techniques de ces technologies sont parfois discutés [6], notamment pour la variabilité des résultats observés et leur viabilité économique.


Efficience protéique

Au cours des dernières années, le concept de "feed versus food" est devenu l'une des principales critiques sociétales à l'égard de l'élevage. Ce concept dresse un bilan de matière défavorable entre les aliments apportés aux animaux, et ceux produits par ces derniers à destination des humains.

Du point de vue des protéines, il est important de raisonner cette observation de manière holistique, en prenant en compte la part des protéines consommées par les animaux qui ne sont pas valorisables par l'homme : c'est par exemple le cas des prairies, ou des coproduits de transformation.

L'efficience de conversion des protéines est un indicateur (développé par LAISSE et al. en 2018) qui permet de juger de cet équilibre[7].

Formules utilisées pour le calcul de l’efficience nette de conversion des protéines (A) et de la quantité nette de protéines fournies par l’alimentation humaine (B). G. DURAND, BSA, 2020.

On considère ainsi, que selon les systèmes d'élevages de ruminants, l'efficience protéique nette est souvent proche de 1 voire inférieure à 1. Ce qui signifie qu'il faut environ 1kg de protéines végétales consommables par l'homme afin de produire 1 kg de protéines animales[8], et que dans certaines conditions les animaux sont des producteurs nets de protéines consommables par l'homme.

Notre série de guides sur l'autonomie protéique


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Cette page a été rédigée en partenariat avec Plein Champ

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Références

  1. Techniques d'élevage, Expression des apports et des besoins en protéines des ruminants : PDI, PDIE, PDIN, 2011. https://www.techniquesdelevage.fr/article-expression-des-apports-et-des-besoins-en-proteines-des-ruminants-pdi-pdie-pdin-89694681.html
  2. 2,0 et 2,1 INRA, Guide pratique : Alimentation des bovins, ovins et caprins, Besoins des animaux - Valeurs de aliments. Éditions Quæ, 2010 ISBN : 978-2-7592-0874-6 (c.a.d. l’eISBN) ISSN : 1952-2770. http://www.civamad53.org/wp-content/uploads/2020/12/Tables-INRA.pdf
  3. H. Rulquin, INRA, Intérêts et limites d’un apport de méthionine et de lysine dans l’alimentation des vaches laitières : https://productions-animales.org/article/view/4219
  4. Chambre d'Agriculture de Normandie, Note technique : le toastage des protéagineux, expérience d'un groupe d'éleveurs laitiers en Normandie, 2017. https://normandie.chambres-agriculture.fr/fileadmin/user_upload/National/FAL_commun/publications/Normandie/bl-toastage-Proteine-normandie.pdf
  5. P. Chapoutot et al., Rencontres Recherche Ruminants, L’extrusion des protéagineux modifie la dégradation dans le rumen et la digestibilité intestinale de l’azote, de la lysine et des composés de Maillard, 2020. http://www.journees3r.fr/spip.php?article4775
  6. A. Peucelle, WEB Agri, Toastés ou non, les protéagineux ont des performances de croissances semblables. 2021. https://www.web-agri.fr/bovin-viande/article/180521/le-toastage-de-proteagineux-de-la-theorie-a-la-pratique
  7. G. Durand, Bordeaux Science Agro, La prise en compte des prairies dans l'autonomie protéique des élevages bovins lait, 2020. https://www.inrae.fr/sites/default/files/pdf/3RDF2020-Actes_DEF.pdf
  8. S. Laisse et al., Efficience alimentaire des élevages : nouveau regard sur la compétition entre alimentation animale et humaine, Gis Élevage Demain, 2017. https://www.gis-elevages-demain.org/Actions-thematiques/Efficience-proteique-et-energetique-des-filieres-animales/Rapport-sur-l-efficience-alimentaire-des-elevages


Annexes


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